IA et journalisme, les liaisons dangereuses ?

Dauphine Digital Days

La deuxième édition des Dauphine Digital Days a rassemblé plus de 700 participant.e.s à l’Université Paris Dauphine – PSL, en novembre 2023. 

Trois jours de conférences centrés sur l’intelligence artificielle et ses impacts sur le droit, la santé, la finance, les médias ou encore les entreprises. Approche pluridisciplinaire, une cinquantaine d’intervenants, experts académiques, institutionnels ou acteurs du secteur socio-économique.

Retrouvez les vidéos : https://dauphine.psl.eu/dauphine-digital-days


Ce billet s’inscrit dans la continuité du livre « Donner un sens à sa vie, avec ou malgré l’intelligence artificielle« .

L’intelligence artificielle a émergé comme un tourbillon dans nos existences. Partenaire de débat, coach, voire concurrent, l’IA incarnée par des outils comme ChatGPT, devient un acteur incontournable de notre quotidien.

Plongez au cœur des nouvelles relations entre humains et machines, engendrant des perspectives inédites sur la religion, l’amitié et l’amour.

Réalisez comment l’IA réinvente le monde du travail et transforme la création artistique.

Explorez les possibilités offertes par l’IA dans votre vie personnelle et professionnelle !


AVERTISSEMENT : Cet article, même s'il s'appuie largement sur les interventions réalisées dans le cadre des Dauphine Digital Days (Pascal Guénée et Karen Bastien), est interprété (subjectivement) et rédigé (sélectivement) sous la seule responsabilité d'innovecteur.

Journalisme assisté par ordinateur

Aujourd’hui, tant les étudiants en journalisme que les professionnels se doivent d’analyser la nature de ces intelligences artificielles (IA). Cette nécessité découle de la prédominance croissante des IA dans l’emprunt des droits d’auteur et des contenus journalistiques, mais également de l’influence constante de la technologie sur la pratique journalistique depuis ses débuts.

Car la technologie a toujours modelé la façon dont les journalistes exercent leur métier.

La règle fondamentale de la pyramide inversée, enseignée dans les programmes de journalisme, trouve ses racines dans les défis technologiques du passé, lorsque le télégraphe – peu fiable – était utilisé pour transmettre des informations.

Plus récemment, l’hégémonie des moteurs de recherche a poussé les rédacteurs à écrire pour Google afin d’optimiser la visibilité de leurs articles. Les rédactions ont dû s’ajuster aux exigences technologiques plutôt que l’inverse.

Avec l’émergence de l’intelligence artificielle, une révolution comparable à celles des années 80 avec l’informatisation des rédactions et des années 90 avec l’avènement d’Internet est anticipée, affectant les trois piliers essentiels du journalisme : la collecte, la vérification et la mise en forme de l’information.

Cette révolution transformera profondément les métiers liés au journalisme mais contrairement à l’évolution graduelle observée avec l’avènement d’Internet, le rythme du changement sera désormais plus rapide.

Bien que les IA ne remplaçant probablement pas immédiatement les journalistes, ces derniers risquent d’être rapidement dépassés par ceux qui sauront tirer pleinement parti des IA avec habileté. L’exemple d’une rédaction en France ayant fait grève en raison de l’utilisation prévue d’IA pour corriger les articles des correspondants locaux souligne une inquiétude palpable.

Pourrait-on envisager une forme de journalisme augmenté, où les capacités des journalistes sont renforcées par les IA ?


L’IA dans les médias, déjà une réalité

Il est crucial de se rappeler que l’utilisation généralisée des intelligences artificielles (IA) dans les médias n’est pas une page blanche. Lorsque vous consultez les résultats d’une élection, par exemple en France avec ses 36 000 communes, la plupart des descriptions des résultats au niveau local sont générées massivement par des IA lors des soirées électorales. De même, les résultats sportifs, les prévisions météorologiques, les fluctuations boursières, et même des contenus tels que les horoscopes, sont déjà largement générés par des IA dans les médias.

Le monde du référencement et du SEO dans les médias utilise également des IA, recommandant des hashtags, par exemple. Ces outils sont employés dans le marketing, les campagnes de relance d’abonnés, et d’autres domaines similaires. Cependant, ces IA ne sont pas utilisées pour produire du contenu original, mais plutôt pour des tâches de production massive, permettant aux journalistes de se concentrer sur des aspects à plus forte valeur ajoutée tels que l’enquête et l’investigation, au lieu d’écrire des milliers de résultats électoraux dans une soirée, par exemple.

Un aspect moins connu du rôle des IA dans les médias concerne la génération de contenus plus officiels, tels que les horoscopes. Ces textes, répondant à des questions variées comme l’origine des prénoms, sont déjà générés massivement par des IA, illustrant comment des décisions importantes sont prises sans que le public en soit forcément conscient.

De plus, dans le domaine de l’archivage des médias, la manière dont les archives sont taguées et gérées va connaître des bouleversements majeurs avec l’intégration croissante des IA. Cela permettra de taguer massivement du contenu et de lui donner une nouvelle vie, amenant des changements significatifs dans la gestion des archives médiatiques.

Pour illustrer cette évolution, des exemples concrets ont été présentés dans les médias, notamment dans le domaine de la production de couvertures de magazines. Des couvertures entièrement générées par des IA ont été réalisées dans le monde de la beauté et de la mode, avec des médias assumant ouvertement cette utilisation, repoussant ainsi les limites de la créativité. Cette tendance s’étend également à d’autres domaines tels que la photographie, l’illustration, avec des médias français affirmant utiliser des IA pour générer des images, démontrant ainsi l’impact concret de ces technologies sur divers aspects de la production médiatique.

Un magazine avance un autre aspect en soulignant leur mini-budget et le manque de ressources pour rémunérer des illustrateurs. En tant que média à budget restreint, ils reconnaissent ouvertement utiliser ponctuellement des IA pour la génération d’images, soulignant ainsi une réalité économique. Une autre publication renommée a également testé cette approche, générant des illustrations entièrement par des IA pour un article. Cependant, cette expérience a suscité une réaction négative de la part des lecteurs, conduisant à la suppression des images générées.


Et l’éthique ?

L’évolution vers l’utilisation accrue de l’intelligence artificielle (IA) dans la production d’images a suscité des interrogations au sein des médias, incitant à une clarification de leur position. Certains médias affirment éviter l’usage d’images générées par des IA, sauf pour des sujets spécifiquement liés à l’IA. L’éthique dans l’utilisation des IA dans les médias émerge comme une préoccupation majeure, illustrée par la récente Charte de Paris sur l’IA et le journalisme, signée par Reporter Sans Frontières et 16 organisations partenaires.

Les chartes éthiques, définissant les limites et les principes à observer lors de l’utilisation d’IA, occupent une place cruciale dans le paysage médiatique. Plusieurs médias français et internationaux ont développé ces chartes, établissant des lignes directrices pour l’intégration des IA. L’exemple de Reporters Sans Frontières met en lumière l’importance de respecter des valeurs fondamentales telles que la véracité, l’exactitude, l’équité, l’impartialité, l’indépendance, l’annonce non-discrimination, la responsabilité, le respect de la vie privée, et la confidentialité des sources.

Néanmoins, il est crucial de reconnaître que certains de ces principes, notamment la confidentialité des sources, peuvent être difficiles à garantir dans le contexte actuel de l’IA. Malgré ces défis, l’engagement envers la transparence et la définition de principes éthiques marque une avancée positive dans la réflexion sur l’utilisation de l’IA dans le journalisme.


Les outils d’IA, un défi pour les journalistes

Aujourd’hui, pour les jeunes journalistes ou les futurs journalistes, il est crucial de comprendre en profondeur comment fonctionnent ces outils. Ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît à première vue, et il est essentiel de ne pas sous-estimer la complexité de ces technologies.

Eliezer Yudkowsky, chercheur en informatique, « Le plus grand danger de l’IA est, de loin, que les gens concluent trop tôt qu’ils la comprennent ». Par exemple, aujourd’hui, 30 % des Français utilisent ChatGPT comme un moteur de recherche, ce qui est une aberration totale. Il est important de reconnaître que ChatGPT n’est pas Google, il n’a pas de notion de vrai ou faux, il cherche simplement le vrai semblable. Lorsqu’il ne trouve pas une information, il peut inventer sans avoir conscience de le faire, car il n’a pas de mémoire, de raisonnement, de connaissance intrinsèque ou de source.

C’est est moteur d’auto-complétion. L’auto-complétion, que l’on connaît sur Google et d’autres plateformes, suggère des compléments aux mots que vous tapez en se basant sur les recherches précédentes des utilisateurs. Ces moteurs d’auto-complétion sont alimentés par toute notre connaissance des vingt dernières années, puisée dans l’espace de partage qu’est Internet. Bien que puissante, cette technologie peut également présenter des dangers, notamment sur les fermes de trolls, mais elle fait partie intégrante du travail journalistique moderne.

Cette réalité pose un défi majeur pour les journalistes, car il devient difficile de rendre fiable une information provenant de ces outils. Pour Katy Bremer de France TV, « Chat GPT est un ami patient pour tester et challenger de nouvelles idées ».


Test and Learn, la bonne approche pour se faire une opinion

Il faut tester, apprendre, pratiquer. Et se forger un point de vue. Par exemple, avec l’essor de ChatGPT, il convient de s’interroger sur son utilité pour le journalisme. L’idée est de comprendre comment ces nouvelles technologies peuvent être utilisées dans la pratique journalistique. Actuellement, il semble y avoir une accélération de l’intégration des IA dans les rédactions, en particulier dans la mise en forme de l’information une fois que celle-ci a été collectée et vérifiée par des humains.

Dans ce contexte, ChatGPT devient un « ami patient » avec lequel on peut dialoguer régulièrement pour poser des questions, tester de nouvelles idées et explorer les possibilités offertes par ces nouvelles techniques dans le journalisme.

Pour illustrer cette démarche, entrons dans le quotidien d’un journaliste et examinons les tâches journalières gourmandes en temps, dans le but de les optimiser et d’accélérer le processus. Imaginons la scène matinale où l’on vous remet un rapport de 200 pages avec la consigne de produire une double page d’ici le soir sur un sujet que vous maîtrisez à peine. Par exemple, la tâche consiste à synthétiser un rapport public et une conférence de presse, suivie d’une double page comprenant le résumé du rapport, une interview d’un expert, et le témoignage d’une ou deux personnes.

Dans cette démarche, comment les technologies telles que ChatGPT pourraient être intégrées dans ces processus journalistiques, de la synthèse des rapports à la proposition d’idées d’articles, d’angles d’enquête, de suggestions d’experts, et même la création de présentations et la préparation d’interviews ? Tout cela en garantissant bien sûr la fiabilité du résultat.


Examinons chaque étape individuellement

  • Synthétiser un rapport technique : ChatGPT démontre son efficacité dans l’identification des mots-clés pertinents et la production d’une synthèse de qualité. À condition toutefois de définir clairement le document à analyser, sinon il risque de partir dans toutes les directions en synthétisant tout ce qu’il a en mémoire.
  • Proposer des idées d’articles et des angles de rédaction : Le fonctionnement est satisfaisant à condition de préciser les orientations souhaitées pour l’article (analyse politique, point de vue culturel, vulgarisation scientifique) afin d’obtenir des suggestions tranchées. En une dizaine de minutes, vous disposez d’une synthèse d’un rapport technique conséquent et de quelques articles intéressants à explorer.
  • Suggérer des experts à interviewer : Cette fois, la tâche consiste à trouver des spécialistes francophones pour une interview. Après réception des résultats, une vérification minutieuse s’impose pour confirmer l’existence de chaque expert.
  • Réaliser des fiches de présentation de ces experts. Facile pour l’outil, même si une vérification factuelle s’impose !
  • Préparer des questions pour une interview : L’outil réussit plutôt bien à identifier des experts, les classifier, et même à générer des questions pour l’interview. Même si toutes les questions générées ne seront peut-être pas utilisées, certaines se révèlent intéressantes, offrant ainsi une précieuse contribution au processus journalistique. Ainsi, en 20 minutes supplémentaire, les experts ont été sélectionnés, et la préparation de l’interview a été achevée.
  • Ré-écrire (du français au français, du français à l’anglais ou vers une autre langue) : Chat GPT produit un texte généralement meilleur qu’un simple outil de traduction. 

Facteurs-clés de succès : Il est impératif de souligner l’importance d’une compréhension approfondie de son propre processus de travail. Au lieu de simplement solliciter l’outil pour rédiger un article, il devient cruciale la découpe minutieuse du processus en tâches élémentaires pour obtenir, dès aujourd’hui, des réponses véritablement pertinentes. La vérification méticuleuse de chaque production s’avère être une étape indispensable avant d’entamer la prochaine phase.


Et si cette collaboration humain-machine dépassait les limites du journalisme ?

Plusieurs secteurs partagent des similitudes avec le métier du journalisme, notamment en ce qui concerne la collecte, la vérification et la mise en forme de l’information. Voici quelques exemples :

Intelligence et analyse de données : Les analystes de données et les experts en intelligence des affaires collectent des données, les analysent et les interprètent pour fournir des informations exploitables aux entreprises.

Recherche académique : Les chercheurs universitaires effectuent des travaux de collecte de données, de vérification et de rédaction pour produire des articles et des publications académiques.

Veille stratégique : Les professionnels de la veille stratégique collectent des informations pertinentes sur les concurrents, les tendances du marché et d’autres éléments susceptibles d’influencer la prise de décision d’une entreprise.

Rédaction technique : Les rédacteurs techniques collectent des informations complexes, les vérifient auprès d’experts et les présentent de manière claire et compréhensible pour un public spécifique.

Analyse de la sécurité de l’information : Les analystes de la sécurité de l’information collectent des données sur les menaces potentielles, les vérifient et les utilisent pour renforcer les systèmes de sécurité des entreprises.

Métiers du renseignement : Les professionnels du renseignement collectent, vérifient et analysent des informations sensibles pour informer les décideurs politiques et les responsables de la sécurité nationale.

Content editing et fact-checking : Les éditeurs de contenu et les vérificateurs de faits travaillent dans divers secteurs pour garantir l’exactitude et la crédibilité des informations publiées.

Communication d’entreprise : Les spécialistes en communication d’entreprise collectent des informations sur les activités de l’entreprise, les vérifient et les présentent de manière à renforcer la réputation de l’entreprise.

Archivistes et gestionnaires de l’information : Les professionnels de l’archivage collectent et organisent des informations historiques, veillant à leur exactitude et à leur accessibilité.

Analystes de politiques : Les analystes de politiques collectent des données sur des questions politiques, les vérifient et les utilisent pour informer les décideurs politiques et les citoyens.


Comment les médias peuvent-ils rester des îles de vérité dans un océan de fake ?

Les médias sont marqués par une ambition générale de véracité et des attentes élevées en matière de production de contenu. Ils ont une importance particulière pour la bonne marche de la vie démocratique. Par leur respect de principes et méthodes visant à garantir la véracité et la qualité des contenus, ils servent de pôles de confiance pour un écosystème d’informations mais :

  • Le contexte des médias est influencé par une pression importante (temps et ressources humaines/financières à disposition). Les outils d’IA générative peuvent renforcer la tentation de passer outre certaines procédures de vérification et contrôle qualité.
  • La qualité des contenus générés par l’IA (notamment sous l’angle des biais de représentation/effets négatifs pour certains groupes sociaux) peut également poser problème.
  • Les photographies, les images et les illustrations posent des défis similaires aux textes

En se projetant dans un monde où le contenu généré par une machine (texte, photographie, image) est devenu indiscernable d’un contenu généré par un humain, quelles sont les fonctions principales des professionnel.les des médias ? Les lecteur.trices sont-ils informés de l’utilisation d’outils d’IA générative ?

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Pour aller plus loin

L’innovation responsable, technologie et éthique : Le livre à découvrir. Avec un teaser gratuit à télécharger !

Alors que nous venons de découvrir l’intégration de l’Intelligence Artificielle dans nos vies personnelles et professionnelles, il est crucial d’aborder les implications éthiques entourant leur utilisation.

Il me semble important de réfléchir au déploiement responsable de ces technologies et considérer l’impact potentiel sur l’humain. Il faut aborder ce développement avec une perspective critique.

Lien : https://innovecteur.com/responsable/

Et aussi une série d’articles sur l’innovation responsable : https://innovecteur.com/category/innovation-responsable/


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