Julien Levallois

L’innovation à l’Université – ou de la difficulté d’apprendre à entreprendre, un témoignage du Dr. Julien Levallois

Pour cet article, innovecteur a donné la parole au responsable du Science Innovation Hub à la Faculté des Sciences de l’Université de Genève.


Julien Levallois est depuis avril 2019 le manager du Science Innovation Hub, le pré-incubateur de la Faculté des sciences de l’Unige.

Julien Levallois a fait ses études scientifiques à l’Université de Tours (France), où il a obtenu un master. Puis en 2008 il a reçu son doctorat en Physique de la matière condensée (physique quantique) à l’Université Paul Sabatier de Toulouse (France) sous la direction des docteurs Cyril Proust et Kamran Behnia. Le sujet était l’étude de l’état normal des supraconducteurs à haute température (HTcS) dans des conditions extrêmes comme la basse température (~1.5 K) et les champs magnétiques élevés (~60 T).

Après un postodoc puis un poste de Maitre-Assistant dans le laboratoire du Prof. Dirk van der Marel à l’Université de Genève – études de spectroscopie optique des HTcS entre autre – il a rejoint le Geneva Creativity Center – aujourd’hui rattaché à l’OPI – en 2014 et Unitec, le bureau de transfert de technologie de l’Université de Genève, en 2017.

http://www.linkedin.com/in/julienm-levallois


L’innovation figure aujourd’hui dans tous les objectifs définis par les (grandes) entreprises et les institutions publiques. Galvaudé ou pas, ce terme est à utiliser et à mettre à toutes les sauces, faute de ne pas paraitre (ré-)actif, à la page, ou même exister. Cependant, est-il indispensable d’innover à l’université ?

Dans cet article, j’essaie d’exprimer de manière condensée mon point de vue sur la situation actuelle, et bien entendu cela n’engage que moi.

La/Le jeune scientifique : Quelle direction choisir ? Recherche académique ? Startup ? PME ? Multinationale ?
Image tirée de la série la Septième Compagnie

Innover ou ne pas innover

Il y a 13 ans, lorsque j’auditionnais pour mon postdoc avec un Professeur de physique de l’Université de Genève – j’étais alors à Toulouse –, lors de notre échange celui-ci me dit : « Aujourd’hui, dans toutes les demandes de fonds, il faut que le terme nano figure. C’est facile, si je dois parler de millimètres, je dis nano-kilomètres ! ». Le poids des mots comme diraient d’autres…

Aujourd’hui, le terme à la mode (le « buzzword ») est innovation. Une entreprise qui n’innove pas est condamnée à mourir ; ce n’est pas nouveau me direz-vous, au final les entreprises ont toujours dû renouveler leurs produits ou leur process. Cependant, je souris lorsque je vois ce terme employé pour des changements mineurs de façon de faire – mettre un cours en ligne, écrire en rouge et non en bleu, etc.

Bref, je voulais simplement rappeler ici que l’innovation est le fait de générer de l’impact à travers la création de valeur économique ou sociale, en mettant directement à disposition des utilisateurs/trices un nouveau produit, dispositif, logiciel, service ou processus. En cela, la recherche fondamentale est une source inépuisable d’innovations, car nombre d’entre elles sont le fruit d’inventions sortant des laboratoires – l’inverse étant plus compliqué…

Donc oui, l’innovation n’est peut-être pas essentielle à l’université, mais l’université est essentielle à l’innovation.

Des objectifs différents ?

Il y a peu, je lisais la déclaration d’une Professeure de physique au sujet du nouvel intitulé du poste de la nouvelle commissaire européenne « à l’innovation et à la jeunesse » (Le Temps, 4 octobre 2019). Le terme « recherche » n’y figurant plus… La Professeure disait que « développer des applications concrètes dans un but économique n’est pas (son) objectif » et justifiait cela car « si Faraday n’avait pas eu cette curiosité, l’électricité n’aurait par exemple jamais été découverte », préférant ainsi ne pas avoir comme objectif final d’inventer un nouveau produit.

Certes, la recherche menée par la curiosité et donc sans objectif inventif est essentielle – laissant place à la sérendipité –, aucun doute et nul besoin de revenir là-dessus, j’en suis moi-même le premier convaincu. En revanche, je répondrais simplement que si Faraday avait gardé cette découverte pour lui, dans son laboratoire, je ne serais pas en train d’écrire cet article avec mon ordinateur, sur batterie ou branché au secteur…

Plusieurs directions possibles

Les statistiques sont cruelles : alors que la plupart des doctorant-es espèrent faire carrière dans l’académique (chercheur/euse, professeur/euse), seul 5-10 % d’entre eux/elles réussiront à trouver un poste.

Que deviendront les 90-95 % autres ? Très bonne question, que ces derniers/ères ne se sont pas encore posée… et je vous rassure, rien n’est fait pour qu’ils/elles soient amené-es à le faire.

Il est donc important, avant de foncer droit dans le mur, de réaliser assez tôt, c’est-à-dire en Master ou en thèse – en postdoc c’est encore possible… –, qu’il existe d’autres moyens de faire / poursuivre la recherche passionnante que l’on aime au travers de la création d’une startup – en sciences pharmaceutiques, en physique ou encore en microbiologie.

Certes le vocabulaire change – on ne parle plus de fonds mais d’investisseurs, de but mais de marché, etc. – mais au final le plaisir est le même, voire supérieur, car on est le maitre à bord en tant que « CEO », et les scientifiques, sous-entendu qu’ils/elles acquièrent des compétences complémentaires, ont tout pour réussir.

Et alors ?

Changeons les mentalités !

Je pense qu’il est indéniable que de plus en plus de jeunes scientifiques vont se tourner vers l’entrepreneuriat. Bien-sûr que toutes les voies sont possibles et qu’il faudra toujours plus de chercheurs et chercheuses guidées par la découverte pure et dure – prions que les gouvernements en aient conscience.

Cependant, à la fois l’employabilité des grandes entreprises évolue, celles-ci embauchent de moins en moins – facilement –, et le rêve n’est plus d’être un-e parmi mille autres, en dessous de ses n+1,2,3, …, mais plutôt d’être son/sa propre chef/fe, c’est-à-dire gérer soi-même son projet, ses attentes, ses frustrations, et ses succès !

L’époque dans laquelle nous vivons, conditionnée par la situation sanitaire actuelle, cache nombre d’opportunités de création de valeur, reste à les voir et à les saisir en plein vol.

C’est là que la mentalité joue un grand rôle et que l’Université a aussi son rôle à jouer, en offrant les conditions favorables aux jeunes scientifiques évoluant dans leurs labos. Plutôt que de les formater à être intérieurement curieux – faire de la belle recherche, produire des résultats scientifiques de pointe et de grande valeur, mais dans le seul but de publier et de candidater à un poste académique – il faut que celle-ci soit plus stimulante vis-à-vis des carrières entrepreneuriales.

Bien-sûr, des initiatives top-down concrètes, telles que la création de pré-incubateurs académiques, sont de plus en plus instaurées mais il faudra un peu de temps pour cela apporte des effets concrets.

Il faut donc que les démarches soient également bottom-up, que ce soit les étudiant-es qui aient – dès le début ou non de leur projet – la volonté de créer leur startup et/ou les professeur-es qui les incitent et les motivent, ou qu’en tout cas ils/elles ne soient pas contre…

Les modèles

Je pense qu’au-delà des initiatives institutionnelles et des jolis discours – comme celui-ci ( ! ) – le meilleur moyen de multiplier les tentatives de création de startups sera la réplication.

C’est-à-dire voire de jolis succès sortir de son labo, de son département, voire d’une université étrangère, et de se dire que contrairement à ce que disait Mark Twain (“They did not know it was impossible, so they did it”), je sais/vois que c’est possible, alors oui je peux (dois ?) le faire aussi !

C’est tout le but du Science Innovation Hub, dont je m’occupe. Proposer le soutien et créer une atmosphère favorisant la création, l’accès au réseau de l’écosystème, et que les entrepreneur-es aguérri-es soient présent-es pour aider et partager leur expérience avec les débutant-es.

Je crois vraiment que quelque chose se passe actuellement et que les doctorant-es / postdocs actuel-les n’auront plus les œillères que j’avais…


Pour en savoir plus

Sur l’innovation : https://innovecteur.com/category/decouvrir-innovation/

Sur la créativité : https://innovecteur.com/category/creativite-ideation/