Dans cette série, je vais vous dévoiler les secrets d’un responsable d’un incubateur de projets technologiques.
Vous le savez, un projet innovant est particulier puisqu’il évolue sans que la destination ne soit connue à l’avance. Ce qui pose une importante : comment naviguer dans l’inconnu ?
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En tant que responsable d’un incubateur, je m’intéresse à ce sujet sous deux aspects complémentaires.
- Tout d’abord l’évaluation d’un projet innovant. Il s’agit de savoir si le projet progresse dans la bonne direction et si l’équipe qui porte le projet est en train de créer de la valeur pour l’innovation.
- L’autre point concerne le pilotage du projet. Là, il s’agit de se poser la question des actions à mener et aussi de savoir si l’opportunité qui se présente à l’équipe doit être saisie ou pas.
En réfléchissant aux démarches que j’ai mises en œuvre pour plusieurs projets innovants, je peux distinguer 3 types d’accompagnement.
La première approche est séquentielle. Elle s’organise autour des 3 grandes étapes du financement d’un projet innovant.
La deuxième approche est transversale. Elle est basée sur la mesure, c’est-à-dire sur les indicateurs d’évaluation d’un projet innovant.
Enfin, la troisième approche est basée sur les réseaux d’acteurs. Elle vise à générer des opportunités nouvelles.
3ème dispositif : Approche effectuale, visant la création d’un réseau d’alliés et de nouvelles opportunités
J’aurais également pu parler de « collisionneur de rencontres ». Avec ce titre, je fais référence au CERN qui dispose du grand collisionneur de hadrons, accélérateur de particules mis en fonction en 2008 et situé dans la région frontalière entre la France et la Suisse. C’est le plus puissant accélérateur de particules construit à ce jour. En 2012, il confirme l’existence du boson de Higgs.

Les entrepreneurs ont des attentes précises, spontanées et clairement exprimées
Je vous ai présenté précédemment des fonctionnements assez clairs et bien structurés. Dans les grandes lignes, l’entrepreneur avait une idée claire de son projet, il rédigeait un business plan [d’ailleurs on lui en demande un pour entrer en incubateur !], il levait de l’argent et lançait son entreprise, avec ses premières recrues.
En fait, c’est un peu plus confus. C’est vrai que chaque entrepreneur arrive avec une idée. Mais souvent, il ne la garde pas longtemps !
De ce fait, les entrepreneurs émettent le besoin de disposer de contacts, d’échanges qui leur permettent de tester des hypothèses, de vérifier des possibilités, d’acquérir du feed-back et surtout, constituer un réseau d’acteurs susceptibles de participer au projet ou d’y contribuer.
De ce fait, j’ai organisé et structuré un réseau de partenaires à même d’apporter des réponses au moment où l’entrepreneur en avait besoin
Tout d’abord avec les partenaires institutionnels et également les clusters et pôles de compétitivité.
A un deuxième niveau, il s’agit des acteurs privés :
- Les financeurs : banques, business angels et VC
- Les PME/Grands groupes et autres incubateurs / accélérateurs intéressés par les produits développés
Ces acteurs arrivent en général dans un 2ème temps, une fois que le produit est développé et que des premières applications ont été testées.
Il y a enfin les consultants, experts, agences de recrutement, …
D’une façon concrète, j’ai mis en place une base de données que j’alimente à chaque rencontre avec l’un de ces interlocuteurs. Ma réflexion étant : est-ce que ce partenaire pourrait apporter un service à l’un des entrepreneurs de l’incubateur ? A ce jour, près de 300 contacts recensés
Constats et perspectives
L’entrepreneur mobilise ce qu’il a à sa disposition. Il fait appel à son réseau (ses connaissances, ses anciens employeurs / fournisseurs et également son savoir-faire, ses compétences, éventuellement les brevets qu’ils a pu déposer). Il fait également appel aux contacts qu’on peut lui apporter.
Ce qui influence un entrepreneur, ce sont des rencontres particulières, qui arrivent à un moment de questionnement, de doute ou d’ouverture aux opportunités. En général, les plus influents sont les financeurs, parfois les techniciens et ce n’est pas le plus facile à faire admettre – à des utilisateurs potentiels et à des clients.
Et parfois, les entrepreneurs n’expriment spontanément aucune demande précise
J’organise donc des évènements et invitation d’experts / industriels pour créer des rencontres imprévues
Exemples :
- Structuration de réseaux d’échanges entre entreprises
- Inviter des investisseurs, banques, consultants
- Faire témoigner les entrepreneurs lors de conférences et évènements en rapport avec leur domaine d’activité
- Organiser des évènements pour attirer un public large
J’ai mis en place un système de veille
- Newsletter, généralistes et spécialisées (électronique/numérique, énergies renouvelables, santé, appels à solutions / projets / concours…et sur l’entrepreneuriat/innovation). En tout, 20-30 newsletters à lire / éplucher / transmettre les infos utiles en les rendant « attractives »
- Tweeter, Linkedin
Constats et perspectives
La gestion des opportunités
En étant exposé à de nouveaux contacts, on rencontre de nouvelles opportunités. Pour un entrepreneur, une opportunité, c’est soit l’occasion de développer son chiffre d’affaires soit de réduire ses coûts ou ses risques, voire les deux
Ce sont donc les types d’opportunités à même d’intéresser un porteur de projet
- Lorsqu’on parle de développer son activité, je pense bien sûr à un client potentiel avec qui il va entrer en négociation. Car bien souvent, le produit ne répond pas parfaitement aux besoins du client, il va falloir l’adapter. Et une bonne approche, c’est la partenariat. Plutôt que d’adapter un produit pour un client sans engagement de sa part, il est plus efficace de se mettre d’accord sur les modalités de travail ensemble pour concevoir à deux le produit adapté au client. L’entrepreneur obtient une preuve forte d’intérêt du marché (utile pour la levée de fonds), du chiffre d’affaires et un partenaire impliqué dans la réussite tout en ayant transféré une partie du risque de développement.
- Pour illustrer la réduction des risques, on peut parler de ressources humaines. Plutôt que de recruter, démarrer avec de la sous-traitance ou des personnes en reconversion/freelance/portage salarial pour bénéficier de l’expertise sans avoir le risque
La prise de décision, faite au dernier moment et en fonction de ce que l’on est prêt à perdre
Dans tous les cas, face à une opportunité, il y a prise de décision mais pas toujours au moment où on l’imaginait.
Souvent, l’entrepreneur retarde sa décision, donne l’impression de procrastiner le plus longtemps possible pour décider le plus tard possible. En fait, il garde le maximum d’options ouvertes.
Avec les approches agiles, il s’agit du principe « du dernier moment responsable » : stratégie qui consiste à ne pas prendre de décision trop tôt, à retarder le plus possible la prise des décisions irréversibles. Avant cet instant, on travaille sur plusieurs pistes prometteuses en parallèle. Jusqu’à quand ? Jusqu’au moment où le fait de ne pas prendre de décision coûte davantage que le fait d’en prendre une.
L’autre critère de prise de décision concerne la notion de « pertes acceptables ».
Plutôt que de rêver à ce que l’on pourrait gagner (tel client, telle affaire, ….), il est bien plus réaliste de se demander combien on prêt à investir, en temps et en argent, pour tester une hypothèse. En réelle situation d’innovation, il est difficile, voire impossible d’évaluer le gain potentiel. Alors que connaissant ses moyens, il est plus facile de se fixer le budget/les délais que l’on être prêt à investir et à perdre. La perte acceptable, c’est la somme d’argent avec laquelle on part au casino ou en Bourse.
Il est raisonnable de commencer par des petites explorations, peu coûteuses en temps / investissement au démarrage du projet, lorsque les incertitudes sont fortes …. Et les moyens limités. Car une réalité de tous ces projets, c’est la disponibilité très limitée de moyens (finances, compétences, ressources humaines, temps – on est toujours plus impatient que la réalité). Il faut donc être rusé pour avancer à moindre coût.
Retour d’expérience
C’est par l’intéressement d’un nombre croissant d’alliés que le projet innovant se déploie jusqu’à un éventuel succès.
Ce dernier point se fonde sur l’approche des réseaux d’acteurs : selon cette vision, le sort d’un projet dépend des alliances qu’il permet de créer et des intérêts qu’il mobilise.
Plusieurs natures d’acteurs peuvent être identifiées : le demandeur (celui qui utilise), le client (celui qui paie, qui peut être différent du demandeur) et également un réseau plus large de parties prenantes, ayant un intérêt ou une relation avec le produit considéré.
Cette réflexion sur les acteurs amène à élargir le nombre de parties prenantes considérées, puis à engager une relation avec certains de ces alliés.
Plus que le nombre, c’est l’hétérogénéité des acteurs qui influence favorablement le succès d’un projet innovant.
C’est seulement au terme de multiples échanges qu’il est possible d’élaborer un modèle d’affaires. Bien souvent, la rédaction d’un plan d’affaires ne peut intervenir que lorsque le processus qualitatif d’expression de la valeur est déjà bien avancé. Tout projet innovant doit donc in fine statuer sur son modèle d’affaires, c’est-à-dire définir trois flux essentiels :
- Le premier fixe la proposition de valeur, à savoir l’offre de l’entreprise
- Le second introduit le flux de revenus, c’est-à-dire l’approche retenue pour valoriser l’offre et la monétiser auprès des clients
- Enfin, le troisième se focalise sur les processus, l’architecture définie pour mettre en œuvre la proposition de valeur. Il s’agit ni plus ni moins que l’organisation, interne et externe, nécessaire pour délivrer la prestation.
L’approche réseau vise tout d’abord à recenser des connaissances en rapport avec le produit à développer et avec l’écosystème dans lequel il s’inscrit. Ce n’est que dans un deuxième temps que les informations recensées permettront d’établir un modèle d’affaires.
De l’importance de l’équipe projet … dans une perspective d’équipe élargie
Ce n’est pas seulement la composition de l’équipe qui fait sa réussite, mais son organisation. A partit du moment où les compétences essentielles sont réunies (technique, marché, financement, commercial), il est important de mettre en place quelques critères de performance.
- La sécurité psychologique, c’est-à-dire la capacité à prendre des risques sans que cela puisse la mettre en péril.
- La fiabilité des membres de l’équipe, soit la possibilité de compter les uns sur les autres
- La structure et la clarté des objectifs, rôles et plans
- Le sens, le but et la mission du projet et du travail mené par chaque personne
Par équipe élargie, on entend la situation où plusieurs individus collaborent à la poursuite d’objectifs communs. Ces individus appartiennent à des organisations différentes et ont des intérêts et degrés d’implication spécifiques mais partagent des moments collectifs de production.
Conclusion
3 approches complémentaires
On a vu 3 approches (cf. articles précédents) que l’on peut simplifier, de façon simplifiée :
- Approche séquentielle, organisée autour des grandes étapes du financement d’un projet innovant
- Approche transversale, basées sur des indicateurs d’évaluation des projets innovants
- Approche effectuale, visant la création d’un réseau d’alliés et de nouvelles opportunités
Elles sont complémentaires. J’utilise les 3. Le challenge, c’est d’utiliser la bonne au bon moment !
Ainsi, le métier d’accompagnateur de porteurs de projets innovants tient sa complexité de la multiplicité des activés qu’il englobe. Son talent résidera dans son aptitude à activer l’activité la plus adaptée à la demande, et potentiellement, de passer d’une posture à l’autre au cours de la même intervention. C’est donc essentiellement une capacité d’agilité, de flexibilité qui est nécessaire, pour pouvoir ajuster une aide adaptée au besoin perçu.
3 types d’activités établissent les contours de l’intervention d’un accompagnateur de porteur de projets
1) L’expertise
Il s’agit d’aider à l’atteinte d’un objectif, via des techniques de résolution de problèmes et l’apport de compétences / savoir-faire. C’est une posture centrée sur le problème.
L’accompagnateur utilise son expertise propre, qui s’appuie :
- Sur le contenu, sur le problème technique à résoudre (marketing, juridique, …)
- Sur le processus, lorsque l’accompagnateur se place en situation de faciliter une séance de créativité. Dans ce cas, il est le spécialiste de la méthode et non du contenu à traiter
Il s’agit donc d’aider l’entrepreneur à rendre son projet le plus cohérent possible, l’accompagner dans sa réflexion et les prises de décision et faciliter l’exploration de la recherche d’un business model viable
2) Le coaching
Il s’agit de répondre aux questions que se pose l’entrepreneur, par exemple sur sa position de leadership et son mode de management. C’est une posture contrée sur la personne.
L’accompagnateur utilise alors ses capacités d’attention et d’écoute active puisqu’il doit entendre ce qui se joue pour la personne à un moment donné et comprendre quelle est la demande réelle.
Ceci s’apparente complétement à la définition donnée par l’International Coach Federation : « le coaching est une relation suivie dans une période définie qui permet au client d’obtenir des résultats concrets et mesurables dans sa vie professionnelle et personnelle. A travers le processus de coaching, le client approfondit ses connaissances et améliore ses performances ».
Il s’agit de créer le cadre nécessaire pour favoriser le développement du porteur de projet, tout en gardant une position basse, c’est-à-dire une mise en retrait. En effet, ce qui est visé à terme, c’est l’autonomie de l’entrepreneur
3) La posture réflexive
Il s’agit donc de porter son attention sur sa propre activité, idéalement grâce au regard bienveillant d’un pair et/ou d’un superviseur et/ou de l’entrepreneur lui-même, sur la base de la situation telle qu’elle se présente dans la réalité. Dans le but d’améliorer ses pratiques. C’est une posture centrée sur l’accompagnateur.
Finalement, il s’agit surtout d’être capable de s’adapter à chaque situation particulière et de pouvoir évoluer en fonction de la problématique forcément changeante du projet.
Lisez les billets précédents pour découvrir les autres approches