Dans cette série, je vais vous dévoiler les secrets d’un responsable d’un incubateur de projets technologiques.
Vous le savez, un projet innovant est particulier puisqu’il évolue sans que la destination ne soit connue à l’avance. Ce qui pose une importante : comment naviguer dans l’inconnu ?
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En tant que responsable d’un incubateur, je m’intéresse à ce sujet sous deux aspects complémentaires.
- Tout d’abord l’évaluation d’un projet innovant. Il s’agit de savoir si le projet progresse dans la bonne direction et si l’équipe qui porte le projet est en train de créer de la valeur pour l’innovation.
- L’autre point concerne le pilotage du projet. Là, il s’agit de se poser la question des actions à mener et aussi de savoir si l’opportunité qui se présente à l’équipe doit être saisie ou pas.
En réfléchissant aux démarches que j’ai mises en œuvre pour plusieurs projets innovants, je peux distinguer 3 types d’accompagnement.
La première approche est séquentielle. Elle s’organise autour des 3 grandes étapes du financement d’un projet innovant.
La deuxième approche est transversale. Elle est basée sur la mesure, c’est-à-dire sur les indicateurs d’évaluation d’un projet innovant.
Enfin, la troisième approche est basée sur les réseaux d’acteurs. Elle vise à générer des opportunités nouvelles.
2ème dispositif mise en place : approche transversale, basées sur des indicateurs d’évaluation des projets innovants
En parallèle de cette expérience auprès de start-ups, j’ai suivi un master en gestion de l’innovation au CNAM. C’est dans ce cadre que j’ai réalisé un travail de mémoire sur l’évaluation et le pilotage des projets innovants. C’est avec Sylvain Lenfle, professeur au CNAM et à Polytechnique que j’ai creusées ces questions, sur un plan académique puis opérationnel auprès des start-ups de l’incubateur.
Le point de départ de la réflexion, c’est de dire que les indicateurs « classiques » de la gestion de projet ne suffisent pas dans le cadre d’un projet innovant
Sylvain Lenfle a publié un article dans lequel il distingue 5 grandes familles de méthodes d’évaluation d’un projet innovant. L’intérêt de cette classification, c’est qu’elle dresse un panorama historique des différentes approches dont on dispose pour traiter de l’évaluation des projets innovants.
A mes yeux, cette classification a 2 intérêts :
- Elle montre qu’aucune famille, à elle seule, n’est réellement adaptée aux projets innovants. Surtout pas le célèbre coûts-qualité-délais, pour essentiellement une raison : en innovation, la cible n’est pas connue donc il est difficile de bâtir un rétroplanning.
- Par contre, en les combinant, il est alors possible de faire émerger des pistes intéressantes.
C’est en combinant ces 5 familles que j’ai identifié les indicateurs d’évaluation d’un projet innovant

Axe 1 : richesse de l’arborescence de la conception innovante
- Créativité : variété-originalité des concepts
- Faisabilité : valeur-robustesse des solutions techniques
- Rupture avec le dominant design : nombre et variété des règles de conception cassées, Nombre et variété de nouvelles règles de conception créées, Nombre et variété de nouvelles connaissances mobilisées, degré de saturation des connaissances
Axe 2 : intérêt manifesté par les parties prenantes
- Désirabilité : Identification de bénéficiaires/utilisateurs et de clients
- Acceptabilité : Nombre et hétérogénéité des partenaires et des alliés
Axe 3 : Modèles d’affaires
- Viabilité (hard) :
- degré de consommation des ressources disponibles (temps, argent) et capacité à financer les étapes suivantes (subventions, levées de fonds, capacité à générer des premiers revenus, même s’ils ne sont pas issus de l’innovation).
- Capacité à définir un business model opérant
- Enseignements (soft) : Toutes les « productions » du projet :
- des concepts créatifs qui deviennent ou non des produits
- des connaissances nouvelles utilisées immédiatement ou non
- l’impact sur les individus, les idées, les produits et les capacités de l’entreprise
- les résultats économiques (chiffre d’affaires et marges, fonds levés et valorisation de l’entreprise et emplois créés)
Retour d’expérience
Ces indicateurs ont été testés en condition réelle sur les projets de l’incubateur
Les résultats de l’évaluation sur les projets de l’incubateur confirment l’intérêt du dispositif. Par le biais d’évaluation avec le porteur de projet, sur chacun des axes / indicateurs, on réussit bien à évaluer un projet innovant, en évaluant chacun des indicateurs. On arrive ainsi à :
- analyser l’homogénéité / hétérogénéité d’un projet (focalisation trop forte sur la technique, par exemple au détriment de la recherche d’utilisateurs ou de la pertinence du business model par exemple)
- comparer 2 projets, ce qui peut être utile pour la gestion d’un portefeuille de projets.
Cette évaluation est intéressante pour plusieurs cas d’application :
- Bilan d’un projet innovant
- Arbitrage d’un portefeuille de projets
- Coaching d’une équipe innovante
- Sélection avant lancement des projets les plus prometteurs
- Entrepreneuriat / Intrapreneuriat
Point important à préciser, il ne s’agit pas d’une méthode de gestion de projets mais d’une mesure de la maturité d’un projet innovant
Le dispositif d’évaluation est intéressant car il met en avant des thématiques hétérogènes mais toutes indispensables. L’expérience au sein de l’incubateur montre que bien souvent, les entrepreneurs négligent certains aspects du projet. Ou plus exactement, ils surinvestissent du temps et de l’énergie sur les points qui les intéressent le plus. Souvent les points techniques, d’ingénierie, de conception (faisabilité) et beaucoup moins tout ce qui est lié au marché (à la fois les utilisateurs et les moyens de se faire rémunérer).
Le dispositif force à travailler conjointement sur les 3 axes.
Par exemple, un projet, lui, a été évalué à deux reprises :
- Dès son arrivée dans l’incubateur, le dispositif a donc joué le rôle de pilotage du projet, au sens où l’évaluation permet de prendre des décisions en terme d’actions prioritaires. Notamment sur la désirabilité
- 6 mois plus tard, ce qui a permis de mesurer les résultats accomplis. 2 évaluations du même projet ont eu lieu à deux moments séparés de quelques mois. Là encore, plus que la variation des notes, c’est le travail de rétroaction / qualitatif qui a été important, puisque comme le dit le fondateur. Verbatim : « Ce suivi est extrêmement important pour moi. Il me permet de voir les progrès que je réalise et de fixer les étapes à venir. Mais surtout, ce qui a été primordial pour moi, c’est d’avoir pu rencontrer, discuter et échanger avec des utilisateurs et clients potentiels. Point que j’avais prévu de faire un fois mon produit développé ».
Ces 3 axes facilitent la prise de décision en poussant à disposer de données de plusieurs types
C’est particulièrement le cas lorsque l’évaluation se fait de façon collective. Au-delà du dispositif et des indicateurs que je viens de vous présenter, ce qui me semble le plus important est le travail de revue de projet qui facilite la prise de décisions, non pas pour les 5 années à venir, mais pour le prochain trimestre/semestre.
Une évaluation de projet a eu lieu avec 3 personnes de l’entreprise, le fondateur, le responsable financier et le responsable technique. Plus que les notes, les discussions entre les protagonistes ont été riches et utiles.
Verbatim : « Je crois que c’est l’une des premières fois que nous prenons le temps, non pas de faire, mais de décrire et observer ce que nous faisons au quotidien.
L’exercice valide donc l’intérêt de l’évaluation collective. C’est ce que Van De Ven nommait les « prises de décision par objection ».
L’évaluation sert également à construire et renforcer l’équipe chargée d’un projet
Il y a également construction de sens par le processus d’évaluation. Lenfle 2016 : Dans les projets exploratoires, les revues de projet sont une instance qui servent à construire du sens pendant laquelle les résultats sont collectivement discutés et les décisions prise. Il faut également noter l’intérêt de disposer d’un facilitateur qui aide l’équipe à prendre du recul et un regard META sur ses propres activités
Il y a aussi construction collective d’un point de vue synthétique car difficile de se faire une idée générale avec 33 critères ! La synthèse autour des 3 axes est primordiale, la notion de chemin parcouru est également assez parlante
L’évaluation est à voir comme outil de pilotage et de prise de décision. L’évaluation d’un projet innovant doit donc être vue comme un outil d’aide à la décision, de structuration de l’accompagnement et de planification des priorités.
Selon moi, le terrain valide donc la définition proposée par Amigues et Zerbato-Poudou pour qui « l’évaluation est le recueil de diverses informations en vue de porter un jugement et de prendre une décision ».
Cependant, il n’est pas simple de « vendre » l’intérêt d’utiliser cet outil auprès des porteurs de projets.
Pour la plupart d’entre eux, leur charge de travail et leur orientation forte pour l’opérationnel et le court-terme les rendent peu disponibles. Ceci est d’autant plus fort que le projet est ancien. Un seul porteur a clairement manifesté un intérêt proactif. Juste arrivé dans l’incubateur, son dirigeant était prêt à investir du temps pour cadrer et challenger son plan de route.
La vie des entreprises et le succès de leur projet ne s’expliquent pas seulement par les seuls outils discutés dans ce document. Bien d’autres éléments ont une influence au moins aussi importante sur le succès de ces aventures entrepreneuriales. Quelques points sont traditionnellement mis en avant par les acteurs contribuant à l’accompagnement de projets innovants :
- La qualité du fondateur, notamment en matière de leadership, de management et de commercial
- La complémentarité et la cohésion de l’équipe, sa résilience et sa capacité à produire des efforts dans la durée
- La bonne connaissance des dispositifs de financement et de leur mobilisation à chaque stade de développement de l’entreprise
Lisez les billets à venir pour découvrir les autres approches