Le pitch du design fiction

Toute organisation, publique ou privée, se pose tôt ou tard la question de son devenir …mais comment s’y prendre pour envisager l’avenir ?

Ce premier article vous propose une introduction au design fiction.


Les limites des outils actuels

De très nombreux outils se proposent d’explorer le futur, comme la créativité, la prospective, etc… Elles ont toutes comme objectif de proposer des scénarios possibles ou probables, menaçants ou remplis d’opportunités.

Finalement ces exercices d’anticipation ne visent qu’à diminuer le risque de passer à côté de la réalité et de justifier de devoir s’y préparer.

Mais est-il vraiment possible d’anticiper le futur ? De plus, face à la déferlante de rapports prospectifs en tout genre, c’est bien souvent confusion et incertitude qui finissent par s’imposer in fine.

Sur un autre plan, le design thinking, lieu de croisement entre design et conception, ambitionne de trouver des solutions innovantes aux difficultés rencontrées. Mais il est si complexe de détecter les changements à venir que même le Design Thinking montre ses limites.

Le design fiction, proche du design thinking, propose de s’immerger dans le futur pour mieux le façonner.

Cette méthode, alliant design, prospective et créativité, a été décrite en 2009 par Julian Bleecker (à lire A Short Essay on Design, Science, Fact and Fiction et à visionner en vidéo).

Cette approche vise à se projeter pour être en mesure d’imaginer et concevoir le futur. Plus qu’une capacité de projection, c’est l’effort de penser l’avenir qui est au cœur de la démarche.

Le design fiction se veut concret.

Exemple en vidéo : https://youtu.be/2-ZCEH6E4yk

Si l’objectif est d’imaginer, par exemple, les villes intelligentes (smart city), il « suffit » de fixer des composants fictifs sur un vélo pour construire un vélo intelligent pouvant évoluer dans une ville intelligente.

Ce qui permet d’imaginer ce que le vélo ferait concrètement s’il roulait vraiment. En réalité, on va le faire rouler, dans les vraies rues de la ville, pour tourner un film et le diffuser largement.

Réussira-t-il à convaincre ? C’est tout l’enjeu de l’exercice. Ce qu’il faut bien comprendre – et ce qui fait la différence avec le design thinking – c’est que l’objectif n’est pas de produire un tel vélo mais d’attirer l’attention du public sur un scénario réaliste, grâce à une situation crédible et compréhensible.

Les avantages du design fiction.

Vous l’aurez compris grâce à cet exemple, le design fiction vise le réalisme. Il ne faut pas se contenter d’imaginer les objets et usages du futur, il faut les installer dans un univers cohérent.

Proposer un objet improbable en lui donnant un air futuriste ne serait pas suffisant. Il est bien plus puissant d’amener le futur dans le monde présent.

Dans le design fiction – comme dans le design thinking – on utilise donc des prototypes installés dans un environnement crédible, bref un monde possible. Si ces prototypes étaient trop « futuristes » ou mis en scène de façon trop artificielle, ceci provoquerait une résistance de la part des spectateurs. « Je n’y crois pas » serait la réaction commune.   

Le design fiction permet-il de produire des canulars ?

La mise en œuvre du design fiction impose de construire des dispositifs (film, image, mise en scène) à proposer au public. Dans cette perspective, cherche-t-il à tromper son public ?

Ce qui est vrai, c’est que tous les moyens possibles seront mis en œuvre pour plonger le public dans l’environnement ciblé par le projet. L’objectif est de le faire adhérer, de lever ses doutes ou sa méfiance mais non pas pour le tromper, mais pour qu’une fois immergé dans cette réalité possible, il soit en mesure de se poser des questions, de prendre du recul pour finalement susciter une réaction à la question : est-ce que ce futur est souhaitable ?

Disposer d’une représentation concrète de ce que pourrait être demain est bien entendu favorable à l’innovation.

Mais surtout, face à un scénario possible, le design fiction permet de se poser la question de la « souhaitabilité » du futur. Ce vélo intelligent, dans cette ville intelligente, est-ce vraiment ce que nous voulons pour demain ? 

Le design fiction, une passerelle vers l’innovation responsable ?

Certains parlent de design-friction pour envisager une approche d’une créativité alternative, corrosive, « poil à gratter ». Dans cet esprit, le design fiction vise à rechercher les défaillances de nos modes de pensée, les angles morts de nos choix, les travers de nos réflexions automatiques.

Mettre à l’épreuve nos certitudes est probablement l’intérêt le plus déstabilisant du design fiction.

Car oui, le design fiction est là pour provoquer le débat.

Dans un premier temps, il s’agit de présenter les enjeux du présent, de montrer les tendances en cours et ce à quoi elles pourraient conduire si elles étaient poussées jusqu’à leur paroxysme.

En réalité, il s’agit de confronter aux conséquences de nos choix et de révéler les questions, les difficultés et même les absurdités du ‘progrès’ ou les mirages de ‘l’innovation’.

Le design fiction vise donc à nous choquer pour provoquer une réaction, un débat autour de nos choix. Le futur mis en scène est finalement un prétexte pour pousser une discussion sur notre présent.

Le design fiction est un cousin du design thinking, mais sa finalité est tout à fait différente

Si le design thinking est une puissante méthode de conception, le design fiction permet de s’immerger dans le monde de demain pour anticiper l’avenir, en comprendre les enjeux et concevoir sous cet éclairage les produits et services d’aujourd’hui.

D’une certaine façon, le design fiction permet de s’éloigner des modèles dominants, c’est-à-dire de l’effet de fixation en langage C-K.

Le design fiction et C-K sont des approches de transformation et de construction de l’avenir.

Autres lectures :

Sur le design thinking

Sur l’approche C-K